C’est la loi Pacte pour la transformation et la croissance des entreprises, promulguée par décret le 22 mai 2019, qui a donné un cadre légal à l’entreprise à mission.
Cette loi a pour objectif de lever les obstacles à la croissance des entreprises, à toutes les étapes de leur développement : de leur création jusqu’à leur transmission, en passant par leur financement.
Elle considère que les entreprises ne se limitent pas à la recherche du profit mais doivent être le lieu de création et de partage de sa valeur. Le Plan d’action pour la croissance et la transformation des entreprises (PACTE) permet de redéfinir la raison d’être des entreprises et de renforcer la prise en compte des enjeux sociaux et environnementaux liés à leur activité.
Une étude menée par l’IFOP pour Terre de Sienne en 2016 révélait que 51 % des Français considèrent qu’une entreprise doit être utile pour la société dans son ensemble, devant ses clients (34 %), ses collaborateurs (12 %) ou ses actionnaires (3 %).
La loi Pacte apporte donc dans la définition de l’entreprise la notion d’objet social pour inciter les entreprises à prendre en considération les enjeux sociaux et environnementaux inhérents à leur activité et permettre à celles qui le souhaitent de se doter d’une raison d’être dans leurs statuts. Cette « raison d’être » est le projet de long terme dans lequel s’inscrit l’objet social de l’entreprise.
Le statut d’entreprise à mission permet d’inscrire cette raison d’être dans les statuts qui intègre sa contribution sociale et environnementale, de décliner des engagements concrets et de se doter d’un organe de suivi, où les salariés sont représentés, chargé de vérifier la conformité des décisions de gestion de l’entreprise avec sa mission.
Devenir une entreprise à mission, pourquoi et qu’est-ce que cela change ?
-Un « commun » au cœur de la stratégie
La mission permet de placer la création d’un commun au cœur de la stratégie de l’entreprise, un commun qui fait sens pour toutes les parties-prenantes, qui ancre sa légitimité car il résonne avec son ADN et définit sa contribution sociale et environnementale.
C’est ce qui a décidé Bris Rocher, PDG du Groupe Rocher comme le rapporte Novethic dans son édition du 9 janvier 2020 : « Devenir une entreprise à mission est une manière de rendre hommage aux valeurs qui ont guidé mon grand-père lors de la création d’Yves Rocher, il y a 60 ans. La loi Pacte nous permet d’officialiser cela et de pouvoir assurer la transmission de cette valeur familiale aux générations futures qui géreront l’entreprise, dans la lignée de mon action pour réintégrer le capital de l’entreprise au sein de la famille Rocher. Notre mission – Reconnecter ses communautés à la nature – est une réponse à l’un des plus grands défis de notre société mais aussi aux attentes de nos consommateurs. C’est également une incitation, pour les autres entreprises, à prendre le même chemin, autour de leurs propres valeurs. Je suis convaincu que la pérennité d’une entreprise se construit en conjuguant la performance économique et le bien commun. Ce nouvel outil va nous permettre de créer de la valeur autour de nos parties prenantes. Cela passera notamment par de nouveaux axes stratégiques pour chacune de nos 10 marques (Yves Rocher, Petit Bateau, Dr Pierre Ricaud…) et la certification B corp ».
C’est également ce qui a motivé le choix de Pascal Demurger, DG La Maif. « L’entreprise a un rôle politique à la fois face à des enjeux de fracture sociale, d’urgence climatique et de rupture digitale mais aussi face aux attentes des consommateurs-citoyens qui s’amplifient et à des Etats qui ne peuvent plus répondre seuls à cela. En tant que dirigeant d’entreprise, je ne peux pas m’en abstraire et l’idée est en quelque sorte de passer du côté du problème à la solution.
Pour la Maif, prendre le chemin de l’entreprise à mission, c’est prendre ses responsabilités en tant qu’ »assureur militant » pour garantir un impact positif de notre activité pour la société. C’est aller au bout de nos convictions, en embarquant l’ensemble du corps social et en premier lieu nos collaborateurs que nous avons engagés dans cette démarche. C’est aussi une façon de le déclarer publiquement, c’est-à-dire nous obliger, de manière irréversible. C’est enfin un positionnement stratégique car nous sommes convaincus que notre engagement est un facteur d’attractivité, de différenciation et même une condition de performance, voire de pérennité ». (Novethic 9 janvier 2020).
-Un cap et un repère d’alignement
Cette mission est essentielle car elle fixe le cap et devient un véritable outil d’aide à la décision. Elle permet de passer par ce filtre toutes les options qui s’offrent à l’entreprise pour ne retenir que celles avec lesquelles elle est 100% alignée et donc crédible.
Pierre Dubuc, PDG et Co Fondateur déclare :« OpenClassrooms a une mission depuis sa création en 1999 : rendre l’éducation accessible, partout, tout le temps. Nous l’avons formalisée (notre raison d’être, ndr) il y a sept ans puis inscrite dans les statuts en 2018 à l’occasion de la loi Pacte. Nous étions alors à une période charnière de notre développement : chaque année, nous doublons de taille. Nous avons donc besoin d’être très clairs sur la mission de l’entreprise, à la base de sa création de valeur. Cela nous guide dans nos décisions stratégiques. Ainsi, quand des entreprises ont voulu des formations exclusives, ce qui était contraire à notre mission d’accessibilité, nous avons refusé. Quand nous avons cherché des fonds externes, nous voulions être sûrs que les investisseurs soient bien alignés sur celle-ci et la respecte pleinement. Nous l’avons donc intégré dans le pacte actionnaires que nous avons signé avec un fonds américain. Ils n’ont pas changé une ligne. Aujourd’hui, nous consolidons notre démarche avec un comité d’impact, pour avoir une mesure et un contrôle externe. Notre mission est au cœur de notre stratégie, des produits au recrutement en passant par notre financement ». (Novethic 9 janvier 2020).
–Un engagement dans la durée pour un capitalisme responsable
Enfin, la mission inscrit dans l’entreprise dans la durée autour d’un capitalisme responsable pour lequel le profit et la croissance sont des moyens de réaliser la mission et non une fin en soi.
Yvon Chouinard, Fondateur de Patagonia, raconte : « A la fin des années 1980, nous avons rencontré de graves soucis financiers, parce que nous croissions de 50% chaque année. Nous traversions une récession et les banques ne suivaient pas. Il était impossible d’emprunter de l’argent. Nous avons dû nous séparer de beaucoup de gens. Ce fût alors le sursaut. J’ai réalisé que je souffrais de la récession parce que je menais mon entreprise comme tous les autres – en la développant aussi vite que possible, en ouvrant toujours plus de magasins, plus de revendeurs, plus de modèles. C’est à ce moment que j’ai décidé de contrôler ma croissance et d’agir comme si la société devait être encore là dans 100 ans. Notre mission pour maintenant et les 100 prochaines années : concevoir le meilleur produit possible, de pas causer plus de dommages que nécessaire, inspirer et mettre en place à travers notre entreprise des solutions à la crise environnementale ».
Dans la continuité de son fondateur, Rose Marcario, PDG de Patagonia depuis 2008 a quadruplé le CA et déclare : « I don’t think it’s a conflict of interest to say that you can make money, and have a prosperous and successful business, and you can also do good in the world ».
C’est certainement pour ces convictions que Danone va devenir la première entreprise à mission cotée en bourse : « Pour l’entreprise, devenir la première “entreprise à mission” cotée au monde, c’est un moment naturel et historique, explique Emmanuel Faber dans un entretien au Monde le 22 mai 2020. Au moment où nous vivons une crise sans précédent, nous puisons dans l’histoire de Danone. » Le 25 octobre 1972, Antoine Riboud alors PDG de BSN (devenu par la suite Danone) prend la parole aux Assises Nationales du CNPF à Marseille. Souvenons-nous, nous sommes quatre ans après les évènements de mai 68 et le rapport Meadows au club de Rome sur les limites de la croissance est sorti en mars 1972.
Devant ses pairs, Antoine Riboud déclare : « Il n’y a qu’une seule terre. On ne vit qu’une seule fois. La croissance économique, l’économie de marché ont transformé, bouleversé le niveau de vie du monde occidental. C’est indiscutable. Mais le résultat est loin d’être parfait. D’abord, cette croissance n’était pas porteuse de « justice » ; trop nombreux sont encore ceux qui se trouvent en dessous d’un seuil acceptable de bien être, que ce soit dans le cité ou dans l’entreprise. Il n’est pas possible d’admettre que la croissance abandonne derrière elle autant de « laissés pour compte » : les vieillards, les inadaptés, les malades et surtout les travailleurs, qui sont nombreux à bénéficier insuffisamment des fruits de la croissance. Ensuite, cette croissance engendre des nuisances à la fois collectives et individuelles. Elle a souvent sacrifié l’environnement et les conditions de travail à des critères d’efficacité économique. C’est pourquoi elle est contestée, et mieux parfois rejetée comme finalité de l’ère industrielle ». Il conclue « Conduisons nos entreprises autant avec le coeur qu’avec la tête, et n’oublions pas que si les ressources d’énergie de la terre ont des limites, celles de l’Homme sont infinies s’il se sent motivé ». Son discours surprend. C’est ainsi que naît « le double projet économique et social » partant du postulat que performance et humain sont étroitement liés, car « il y a des hommes derrière les machines et si on ne s’occupe pas des hommes, les machines ne tourneront pas » comme le rappelait Franck Riboud, son fils, lors d’une intervention devant des étudiants de HEC en octobre 2007.
-Une nouvelle gouvernance
La raison d’être et son plan d’action expriment la contribution de l’organisation dans la société. Devenir sur cette base une entreprise à mission signifie d’en faire évoluer la gouvernance avec l’intégration de toutes les parties-prenantes à travers un comité de mission. Il regroupe des collaborateurs, des ONG, des experts extérieurs, des représentants des pouvoirs publics, etc. C’est ensemble avec les actionnaires qu’ils vont établir les objectifs et son référentiel d’évaluation. Comme le rappelle Citizen Capital & Deloitte Développement Durable dans le guide de l’Entreprise A Mission : « Le caractère unique de l’entreprise à mission, c’est la liberté qui est donnée aux fondateurs et actionnaires de définir leur mission et l’ambition qui y est associée. Mais comme toutes les libertés, elle oblige ».
Cette évaluation est clé et garantit l’engagement réel de l’entreprise au-delà d’une volonté de communication. Cette démarche peut être certifiée. C’est ce que propose B Lab, une association créée en 1986 aux USA qui a développé un outil d’évaluation de la performance sociale et environnementale de l’entreprise à travers 200 questions réparties autour de cinq thématiques : Gouvernance, Collaborateurs, Collectivités, Environnement, clients, qui délivre la certification B-corp.
-Que devient la RSE dans tout cela?
Cette démarche va bien au-delà de la RSE souvent positionnée comme une activité/un service à part. Au contraire, elle met ces dimensions au cœur du quotidien de toute l’organisation et de ses équipes. C’est ainsi que Patagonia a décidé de dissoudre son département RSE en 2014 pour l’intégrer au cœur de chacun des métiers. Plus de 500 collaborateurs s’engagent activement au sein d’ONG, ce qui est une façon concrète d’apporter une contribution positive à la planète.
Ce mouvement s’organise et a vu naître le 20 décembre 2018 la communauté des entreprises à mission (https://www.entreprisesamission.com/) qui est un collectif d’entrepreneurs qui défend un modèle d’entreprise qui contribue activement au bien commun. L’objectif est d’aider les entreprises à mission à grandir en partageant leur expérience, en documentant ce qui qualifie l’entreprise à mission et en les faisant rayonner auprès du grand public.
La volonté des politiques et l’engagement de dirigeants dans cette voie sont importants. Ces derniers sont des pionniers qui ouvrent une nouvelle voie et démontrent que l’Entreprise est une actrice incontournable de l’évolution de notre société. Réconcilier performance et contribution positive à son éco-système environnement et social, est possible.
Sources :
https://www.youscribe.com/BookReader/Index/1440239/?documentId=1418999